Pages d’écriture

Poésie, haïkus, nouvelles, textes inédits… composés par Sylvie Callet – tous droits réservés

Poèmes mis en musique et interprétés par Martial Robillard : « La Tricoteuse de Marioupol » (ci-dessous) et « Ode à Brassens« 

Poèmes (guerre, Ukraine)

21 mars 2022

La tricoteuse de Marioupol

Elle tricotait sa vie comme je filais la mienne
un amour à l’endroit un chagrin à l’envers
vivant chaque point jeté comme un coup de poker
mais rattrapant les mailles avant qu’elles ne s’égrènent

Sur le jacquard des heures elle tissait son nid
des arabesques d’or entre ses doigts naissaient
quand le ciel a tremblé ses aiguilles ont volé
la trame du destin les avait désunies

Dans une cave noire tous ses rangs se défont
ses doigts gourds et gelés ne trouvent plus le fil
sa pelote se dévide sans atteindre l’avril
ses lèvres asséchées ont le goût du coton

Fini de se terrer elle remonte au grand jour
où les corps disloqués forment un motif baroque
pour les enfants perdus elle tisse des cache-glauque
quand la mort a tout pris il reste encore l’amour

Ses doigts bougent tout seuls comme sa tête est partie
ils dessinent des flammes sur des oripeaux gris
Boum ! Bam ! Elle sourit c’est la fête aujourd’hui
– sur son grand châle blanc une fleur a rougi

Elle tricotait sa vie comme filent les ans
un amour à l’endroit un chagrin à l’envers
vivant chaque point jeté comme un coup de poker
vivant l’éternité à chaque nouveau rang

« Entrelacs » Sculpture en marbre noir de Savoie JM DEBILLY (détail)

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17 mars 2022

Aux enfants tués sous les bombes

Il pleut du sable jaune
dans le ciel ocre gris
procession de voitures à la station lavage
sur limon spumescent
peloton de chauffeurs
armés de leur éponge
dérisoire rempart contre

L’ENLISEMENT
– et je cogne mes mots, et j’implore l’aurore

Il pleut des nouvelles noires
dans le ciel cramoisi
procession de civils à la station carnage                                                                     
dans la boue et le sang
peloton de soldats
armés de leur courage
dérisoire rempart contre

L’ECRASEMENT
– et je cogne mes mots, et j’implore le sort

Il pleut des sanctions lourdes
dans les plus hautes sphères
procession de discours à la station mirage
châtiments croupissants
peloton de gamins
armés de leur doudou
dérisoire rempart contre

L’EFFAREMENT
– et je cogne mes mots, et j’implore mes morts

Il pleut des larmes blanches
dans le ciel des enfants
et mes mots se rencognent dans un écho glaçant=
dérisoire rempart contre

L’ACCABLEMENT

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Création inédite Zwy Milsthein

15 mars 2022

Exil de femmes

j’ébroue mes larmes
exil de femmes
la vie fauchée au ventre
en pyjama à fleurs

pierre-ciseaux-bombes – papiers réclame
chifoumi chiffonné à l’enfance trouée
leurs yeux trop grands ouverts croulent
de questions
répondre aux armes point d’interrogation 

la vie m’entame
j’écroue mes larmes
faute de pouvoir
les rendre

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Se souvenir de Piranèse (détail). Sculpture Béton JM DEBILLY

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je n’écoute plus que d’un œil

je rouge les oreilles

ça guerre dans ma maison

intime

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Autres poèmes

Il est des jours où tout se serre
Il est des jours où l’on se perd

Des jours qu’on appelle sans
Des jours où le sang se fige
Des jours battus par les ans
Des jours de basse voltige

Il est des jours où tout se serre
Il est des jours où l’on se perd

Des jours au bord des paupières
Des jours aux accents muets
Des jours où l’on n’a plus l’air
Des jours où pleurent les fées

Il est des jours où tout se serre
Il est des jours où l’on se terre

S. Callet

Haïkus du confinement

en cours de réalisation

Textes inédits

Avril 2021

Et je voyais le front moussu des pins plonger dans le ciel sans faille, lavé d’embruns et de mistral
Et je voyais leur tiare d’écume – un bouillonné de soie vert impérial – mordre l’acier bleu de la nue comme pour alléger son fardeau d’été
Et je voyais le soleil loin darder encore sur un pan de sable quelques rayons sans fard – et j’écoutais ramper les doigts tièdes de l’astre mollissant sur le nu de ma peau
(un escadron de gabians traçait un sillon poivre et sel à la barbe des vagues)
Et je voyais la carapace jaune grise de la roche, croûte de pain terrestre friable comme du bois sec
hérisser ses écailles d’argent dans un orgueil de falaise
derrière le grillage de rouille tressé par l’homme
Et j’entendais sous le dessous de moi le ventre de la mer gémir, haleter et gronder
Et de ces cris sans fond, jusqu’au tréfonds, je me nourrissais.

S. Callet